Interview d’ANDRÉ SERGENT « Je veux alerter sur la réalité du recul de l’élevage en Bretagne »
Président de la chambre d’agriculture de Bretagne, André Sergent s’alarme de voir l’élevage régresser dans sa région. Il veut provoquer une prise de conscience des politiques et des responsables agricoles pour tenter d’enrayer cette tendance.
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Vous interpellez les politiques à propos du déclin de l’élevage en Bretagne. Quelle est la situation ?
André Sergent : Les revenus de l’élevage sont toujours à la peine, et l’évolution du cheptel bovin breton inquiète : il chute de 62 000 têtes en 2021, et la tendance semble s’accélérer au regard des effectifs de renouvellement. En 2020 déjà, l’élevage laitier a perdu 15 000 vaches et 31 000 génisses. Le recensement 2020 montre que le nombre d’élevages a plus régressé depuis dix ans (- 25 %) que celui des exploitations spécialisées en grandes cultures (- 4 %) ou en maraîchage (+ 6 %). La tentation d’arrêter l’élevage n’est plus taboue. Plusieurs ont déjà franchi le pas.
Qu’est-ce qui explique cette désaffection ?
A. S. : Les raisons sont multiples. Depuis la fin des quotas, l’augmentation des volumes produits par unité de travail n’a pas amélioré le revenu. L’excès de normes sans contreparties financières pourrait se transformer en plan de cessation insidieux, au profit d’une végétalisation. Le monde de l’élevage travaille à atténuer ses émissions de GES, mais il se sent stigmatisé et craint d’être sacrifié pour ménager d’autres secteurs de l’économie. L’élevage pose problème à la société et les jeunes qui veulent investir font face à de fortes oppositions. Les producteurs de lait sont épuisés. Les jeunes susceptibles de reprendre en sont conscients. Ils n’ont pas envie d’entrer dans un métier qui n’offre pas de perspective d’équilibre entre revenu et qualité de vie, avec en plus la menace d’une critique permanente de la société. L’absence de consentement des consommateurs à payer pourrait aboutir au refus des éleveurs de produire. Le renouvellement de la profession pourrait buter sur la rébellion de la nouvelle génération.
L’élevage breton a relevé bien d’autres défis. Pourquoi, cette fois, n’y parviendrait-il pas ?
A. S. : La première place sur le podium des volumes et de l’emploi ne peut tenir lieu de consolation face à la faiblesse des revenus. Les éleveurs bretons ont démontré depuis longtemps une forte capacité d’adaptation. À leur corps défendant, ils ont laissé penser qu’ils feraient toujours face, fournissant toujours qualité et volumes attendus par les entreprises agroalimentaires et la grande distribution. Mais même les résistances les plus fortes ont leur point de rupture, et on n’en est pas loin. L’évolution démographique, couplée à une situation économique dégradée, constitue un accélérateur irréversible de diminution de l’élevage. Les éleveurs lancent un message très clair : « Ras-le-bol d’être corvéables ! Ras-le-bol de travailler sous la critique permanente et souvent injuste de nos pratiques ! »
Qu’attendez-vous des politiques ? La profession n’a-t-elle pas un rôle à jouer ?
A. S. : Le ministre Julien Denormandie a pris conscience de la gravité de la situation. La souveraineté alimentaire passe par la rémunération des producteurs. Les pouvoirs publics doivent faire appliquer la loi Égalim, et transformateurs comme distributeurs doivent cesser de pressurer les producteurs. Il faut prendre en compte les coûts de production afin d’établir une juste rémunération des producteurs. Sur ce point, le ministre assure que ses services effectueront tous les contrôles nécessaires.
Au sujet de la Pac, la Bretagne a perdu beaucoup de paiements redistributifs. Nous n’avons pas réussi à inverser la tendance mais au moins, l’hémorragie est stoppée. Par ailleurs, si la production d’énergies renouvelables est aujourd’hui complémentaire de l’élevage, elle pourrait le concurrencer pour l’utilisation des surfaces si le différentiel de rentabilité est trop élevé. Les politiques doivent être clairs sur leurs objectifs dans ces domaines. Sur la ferme expérimentale de Trévarez, nous cherchons des solutions tournées vers une production bas carbone et la complémentarité de la polyculture et de l’élevage, afin de moins dépendre des protéines végétales et des engrais minéraux importés. Tous les éleveurs en bénéficieront, mais je reste inquiet quant au risque de décroissance engendré par le Pacte vert européen.
Propos recueillis par Pascale Le CannPour accéder à l'ensembles nos offres :